La nature, violence artistique
Exposition en partenariat avec le FRAC Corse.
La nature, violence esthétique.
La nature n’est pas que l’amie, le miroir, le refuge. Elle impose son rythme, ses variations intempestives, ses mouvements profonds. Pour les artistes, elle est source d’inspiration ou prétexte à exprimer des intuitions, des opinions, des engagements et, parallèlement, elle est un champ d’expériences artistiques. Daniel Arasse voyait, dans les hautes et sombres frondaisons des peintures de Watteau, le frémissement des prémisses de la révolution française. Au XIXème Caspar David Friedrich place « Le voyageur contemplant une mer de nuages » (1818) dos au spectateur, lequel s’identifie au personnage, seul avec ses pensées. Plus tard, Courbet salue, fouetté par le vent, « Le bord de mer à Palavas » (1854) dans un rapport plus immédiat et physique. La puissance, la pérennité, la beauté des éléments subjuguent le mortel, simple passant, dont la pensée et la création sont les armes dans l’inégal partage temporel. Quand il déclame son ode à l’océan Lautréamont oppose la magnificence de l’élément avec lequel il se sent en harmonie, à la faiblesse et à l’impuissance de l’homme. L’artiste est médium, être hybride : « Je suis fils de l’homme et de la femme, d’après ce qu’on m’a dit. Ça m’étonne. »*
Cette posture d’observateur et, en quelque sorte d’intermédiaire, est celle de celui qui regarde ce qui se passe, les événements comme les effets du temps, avec une attention vive. Les supports martyrs découverts par Elie Cristiani dans la carrière de Brando auxquels il donne la présence d’objets sculptures contiennent l’histoire d’une relation de l’homme et de la nature destinée à durer autant que la planète. De même, le lien du « Ted au bord » de Fabrice Hyber avec la montagne et la rivière est le renouvellement continu d’un échange par le sang et l’eau, condition de l’équilibre vital. La violence et la beauté du monde sont saisies dans la grande photographie d’Anne Deleporte : détail d’une écorce d’arbre plissée comme une peau et dont les couleurs intenses rappellent qu’elles ont inspiré des tenues de guerre. IFP met en abîme des procédés publicitaires et l’utilisation détournée voire pervertie d’images de la nature dont les stratégies de communication s’emparent. Les photos de parcelles de ciel sont présentées en caissons lumineux mais, accrochées au plafond, elles lient fiction et réalité dans un dialogue avec l’espace et l’histoire de l’art. « La tempête » d’Hugues Reip mêle des images et des sons, naturels ou fabriqués, pour créer un univers inconnu aussi énigmatique et familier qu’un songe. Le regardeur n’est pas seulement au spectacle ; il se trouve lui-même projeté dans une fiction universelle, un leurre, produit de la fantaisie de l’observation et du vertige. A partir de ses empreintes digitales Giuseppe Penone envahit l’espace mural d’ondes semblables aux anneaux de croissance d’un arbre gigantesque. La formidable poussée de la nature, la situation centrale de l’individu et le travail du temps sont rendus simultanément perceptibles par cette œuvre et son principe d’installation.
Les six œuvres du FRAC Corse présentées au Palais Fesch – Musée de Beaux-arts pour cette exposition sont représentatives d’un des axes les plus importants de sa collection. Elles rendent compte de pratiques artistiques qui ne visent pas à représenter la beauté ou la cruauté du monde mais à interroger sur les relations entre individus et ce qu’ils perçoivent d’une réalité qu’ils partagent. Le contexte de trouble et de doute sur l’avenir de la planète fait du souci de sa préservation une cause qui tendrait à devenir l’unique commune. Le point de vue des artistes à travers les représentations qu’ils donnent de la nature est doublement intéressant. D’une part, ils accentuent l’acuité d’une question et, d’autre part, ils la dépassent par la force de leurs propositions.
*Les chants de Maldoror chant premier Lautréamont 1868
Anne Alessandri
Directrice du FRAC Corse
Décembre 2014
Ted au bord par Fabrice Hyber
La tempête par Hugues Reip